Quelles leçons tirer d’un cas de fièvre typhoïde à propos de la résistance aux médicaments et des complications graves de la maladie

Si elle n’est pas traitée rapidement ou avec les bons antibiotiques, la fièvre typhoïde peut être mortelle en raison de complications tardives graves telles que la perforation intestinale due à la fièvre typhoïde (PIT). La PIT survient généralement deux semaines après l’apparition des premiers symptômes et se traduit par des trous, ou perforations, dans les intestins. Les patients qui présentent une PIT, affection fréquente chez les enfants dans les régions où la fièvre typhoïde est endémique, nécessitent une prise en charge chirurgicale immédiate et présentent des taux de morbidité et de mortalité élevés. Au Niger, la PIT reste la principale cause de chirurgie abdominale réalisée en urgence pour une affection non traumatique chez les enfants et les adultes.

La résistance aux médicaments complique le traitement de la fièvre typhoïde et accentue la dangerosité de la maladie. Le nombre de cas de fièvre typhoïde résistants aux fluoroquinolones et aux bêta-lactamines, deux classes de médicaments utilisés pour traiter la maladie, est en hausse. Par conséquent, des complications graves comme la PIT sont de plus en plus fréquentes. Une étude récente, publiée dans une revue à comité de lecture portait sur un patient nigérien ayant développé une PIT et des lésions de la vésicule biliaire dues à la fièvre typhoïde, confirmées pendant la chirurgie.

Le Dr Katherine Shafer, le Dr Yakoubou Sanoussi et le Dr Laura Hobbs, trois auteurs de l’étude, se sont joints à nous pour aborder les enseignements tirés de cette étude au sujet de la fièvre typhoïde, de la résistance aux médicaments et de la prévention de la fièvre typhoïde.

Pouvez-vous nous décrire le contexte de cette étude et nous expliquer en quoi ce cas se distinguait des autres ?

La PIT survient le plus souvent dans l’iléon distal, situé à l’extrémité de l’intestin grêle, et rarement dans la vésicule biliaire. Chaque année, l’Hôpital de la SIM – Galmi, au Niger, traite un faible nombre de patients (trois en 2024) présentant à la fois des perforations dans les intestins et une nécrose ou une perforation au niveau de la vésicule biliaire, dues à la fièvre typhoïde et constatées pendant l’intervention chirurgicale. Ce garçon âgé de 11 ans originaire d’un village nigérien présentait un épanchement au niveau du bassin. Compte tenu de ses antécédents cliniques et de sa région d’origine, où la fièvre typhoïde est endémique, les résultats de l’échographie réalisée étaient inquiétants en raison de la présence d’un épanchement causé par une perforation intestinale due à la fièvre typhoïde (PIT). Il a donc été pris en charge au bloc opératoire, où les chirurgiens ont constaté plusieurs PIT, ainsi que des lésions au niveau de la vésicule biliaire (nécrose de la vésicule biliaire) causées par les bactéries responsables de la typhoïde. Ce cas s’est distingué des autres car l’hémoculture a par la suite mis en évidence une infection du sang par un type d’E. coli résistant aux médicaments appelé E. coli productrice de béta-lactamases à spectre étendu (BLSE).

Il est à noter qu’il s’agit du premier cas signalé de bactériémie à E. coli productrice de BLSE se produisant parallèlement à des PIT et à une nécrose de la vésicule biliaire chez un enfant. L’apparition simultanée de ces trois complications souligne la difficulté de traiter la fièvre typhoïde, en particulier dans les établissements de santé ayant un accès limité au matériel et aux médicaments. Les antibiotiques de référence en milieu hospitalier pour un patient présentant une suspicion de PIT sont généralement la ceftriaxone et le métronidazole. Or, les souches d’E. coli productrices de BLSE ne sont pas sensibles à cette antibiothérapie et il a fallu plusieurs jours pour se procurer l’antibiotique choisi, le méropénème, en raison de son coût élevé et de sa disponibilité limitée dans la région. En présence d’une résistance aux médicaments, il est plus difficile de trouver et d’obtenir les bons antibiotiques pour traiter la fièvre typhoïde et la bactériémie, qui peut également être due à d’autres bactéries, ce qui accroît le risque de complications graves telles que la PIT et la nécrose de la vésicule biliaire.

Ce cas est particulièrement préoccupant du fait de l’absence d’antécédent médical ou chirurgical majeur de ce patient, ce qui indique que la population est exposée à un risque d’infection susceptible de ne pas répondre aux antibiotiques habituels. Dans de nombreuses régions où la fièvre typhoïde est endémique, les professionnels de santé manquent d’outils permettant de diagnostiquer la fièvre typhoïde. Il est donc possible que des cas similaires ne soient pas signalés.

Comment la résistance aux médicaments favorise-t-elle l’apparition de complications de la fièvre typhoïde comme la PIT ?

L’augmentation du nombre de souches de Salmonella Typhi résistantes aux médicaments a contribué à la hausse des complications graves de la fièvre typhoïde comme la PIT. Même lorsque la prise en charge chirurgicale de la PIT est efficace, la résistance aux antibiotiques peut compliquer la guérison, notamment dans le cas d’une infection du sang et d’un sepsis. Dans les hôpitaux ruraux, les carbapénèmes, qui représentent souvent la seule option de traitement contre les bactéries résistantes, sont rares et coûteux.

Dans ce cas, la présence de souches d’E. coli productrices de BLSE a apporté un nouveau degré de complexité. Les médecins ont dû déterminer si le traitement contre la fièvre typhoïde était inefficace ou s’ils étaient en présence d’une nouvelle infection. Les bactéries E. coli étaient résistantes à de nombreux antibiotiques habituels, notamment à ceux généralement utilisés pour traiter la fièvre typhoïde, comme les fluoroquinolones et la ceftriaxone. Cela signifiait que les médicaments habituels n’étaient pas assez efficaces pour combattre l’infection.

Si le méropénème était le traitement privilégié contre l’E. Coli productrice de BLSE, il n’était cependant pas disponible au départ à Galmi, le village rural dans lequel le patient a été traité. Le personnel de l’hôpital a finalement réussi à se procurer le médicament dans un pays voisin et n’a été en mesure de démarrer le traitement qu’au jour 13 de l’hospitalisation du patient. Ce retard met en évidence les graves difficultés rencontrées pour traiter la PIT dans les régions défavorisées. Non seulement il est difficile de se procurer le méropénème dans les hôpitaux ruraux, mais ce médicament est également très coûteux, et donc inabordable pour de nombreuses familles. Du fait du délai de près de deux semaines pour se procurer le bon antibiotique, l’infection a eu le temps de s’aggraver, accroissant le risque de complications et compliquant la guérison du patient.

Quelles difficultés les professionnels de santé évoluant dans des environnements à faibles ressources rencontrent-ils lorsqu’ils traitent des cas comme celui-ci ?

Ce cas souligne que, même lorsque la PIT présumée (avec ou sans nécrose de la vésicule biliaire) fait l’objet d’une intervention chirurgicale appropriée et dans les meilleurs délais, l’absence d’identification des bactéries en cause et de détermination de l’efficacité des antibiotiques disponibles peut entraîner l’aggravation des complications postopératoires et le décès éventuel du patient. Avant d’être équipés pour réaliser des hémocultures grâce à cette étude, nous ne connaissions pas les profils de résistance aux médicaments dans la région. Il était difficile de déterminer comment traiter des patients dont l’état continuait de se dégrader, parfois jusqu’au décès, malgré une prise en charge chirurgicale et un contrôle de la source d’infection adaptés, sans savoir quels antibiotiques étaient efficaces ou non.

Grâce au partenariat avec l’université du Maryland et le laboratoire du centre de recherche d’Epicentre à Maradi pour la réalisation d’hémocultures, l’an dernier, l’Hôpital de la SIM – Galmi a pu, pour la première fois, détecter la présence de souches d’E. coli productrices de BLSE dans notre région et constater le profil de résistance élevée de la bactérie S. typhi à la ciprofloxacine.  Cette avancée cruciale nous a permis de modifier considérablement les antibiotiques administrés pour traiter les patients atteints de la fièvre typhoïde sans perforation intestinale à un stade précoce, ainsi que les patients présentant une perforation intestinale et ayant subi une intervention chirurgicale.

Les hémocultures sont rarement disponibles dans les régions où la maladie est endémique, et même lorsqu’elles sont disponibles, l’obtention des résultats peut parfois prendre plusieurs jours. Les obstacles liés au coût des médicaments compliquent la prise en charge des patients. Même lorsque des antibiotiques efficaces sont disponibles, le risque de décès est réel si les médicaments adéquats ne sont pas disponibles à temps ou si les familles des patients n’ont pas les moyens de se procurer ces médicaments coûteux.

Que pouvons-nous faire pour prévenir la fièvre typhoïde, ainsi que les graves complications associées, dans les zones où la maladie est endémique ?

L’administration du vaccin antityphoïdique conjugué (VTC) est une première étape cruciale dans la prévention de la maladie. L’amélioration de l’accès à l’eau potable et aux systèmes d’assainissement, ainsi que la sensibilisation au lavage des mains et aux bonnes pratiques d’hygiène alimentaire sont tout aussi importantes.

Par ailleurs, l’élargissement de l’accès aux tests diagnostiques et de la surveillance favorise une détection plus précoce et un traitement plus ciblé, tandis que l’utilisation responsable des antibiotiques est essentielle pour ralentir la propagation des souches résistantes aux médicaments. Enfin, il est vital de renforcer les systèmes de santé pour favoriser une détection et un traitement chirurgical précoces afin de prendre en charge les complications de la fièvre typhoïde comme la PIT et d’améliorer le pronostic des patients.

En tant que chirurgiens, nous constatons que le problème relatif à la fièvre typhoïde dans notre région réside dans le fait que les patients qui ont le plus besoin d’une intervention chirurgicale ont souvent commencé par consulter plusieurs autres établissements de santé, soit en raison de retards dans l’accès aux soins dus aux difficultés financières de leur famille, soit en raison du manque d’outils nécessaires pour diagnostiquer la fièvre typhoïde dans les cliniques rurales où ils ont été examinés en premier lieu. Cela entraîne des retards dans l’administration des antibiotiques appropriés en fonction des profils de résistance identifiés dans la région.

Malgré tous nos efforts pour assurer la meilleure prise en charge chirurgicale qui soit, nous déplorons un taux de morbidité et de mortalité élevé dans les établissements de santé de notre région. La prévention est essentielle, et nous nous réjouissons de l’introduction à venir du VTC au Niger.

Ces trois jeunes filles, ainsi que leurs mères, qui les précèdent, ont subi une intervention chirurgicale d’urgence pour une PIT à Hôpital de la SIM – Galmi. Elles vivent dans le même village, à environ 15 minutes de l’hôpital. Crédit : Alina Farcas.